Le journal de la peste de Michael D. O’Brien

« Je me suis activé avec frénésie pour avoir une vie accomplie et, ce faisant, j’ai oublié de vivre. (…) J’ai été si inquiet pour mes enfants que je ne les ai pas vraiment regardés. (…) C’est de la foi dont nous avons le plus besoin. Quand nos autres forces nous font défaut, là, à la base de nos âmes vides, se trouve une richesse mystérieuse de silence. Là, au fond du tonneau, réside la véritable force, ni puissance ou ressources, ni sagesse mondaine ou système de défense solide, mais plutôt la volonté de continuer à aimer et vivre par la vérité. (…) Je ne le savais pas alors, mais le prix d’une famille heureuse est la mort de l’égoïsme. (…) Un père, la nuit, peut avoir peur de toutes sortes de choses, et de façon plus pertinente, son impuissance face à la réalité. (…) Je peux réfléchir, spéculer sur la nature de l’avenir mais je le vois maintenant cette terreur engendrait en moi la violence.»

J’avais eu l’occasion d’échanger, même furtivement, avec Michael D. O’Brien, au travers d’un premier billet que je lui avais consacré l’année précédente. De mémoire, il me semble lui avoir écrit qu’il faisait partie de ces auteurs contemporains que je lis systématiquement avec avidité, sans trop me poser de question quant au fait de savoir si ses livres successifs pourraient me plaire ou non, tant il est vrai que le lire n’est pas uniquement entrer dans une « œuvre littéraire » mais plutôt s’insérer dans une « œuvre de présence au monde ».

Michael D. O’Brien est un veilleur, un observateur vigilant de notre société, mais pas tant d’un point de vue sociologique, que du constat, que l’on retrouve également sous la plume de nombreux essayistes et écrivains, que nos sociétés occidentales, érigées en exemple de démocratie et de protection des droits de l’homme,  tendent vers un totalitarisme de la pensée et de la science, un humanisme poussé à l’excès, au point que ce qui est en jeu n’en est pas moins la perte de notre humanité, pour ne pas dire notre âme.

Michael D. O’Brien parle de ces sujets à travers le roman, et donc à travers des personnes qui s’incarnent dans un vécu, une hérédité, un lieu, une époque.

Sous cet angle, et Le journal de la peste ne déroge pas à cette analyse, sauver son âme, retrouver sa liberté, vivre en vérité, ne peut être une vision collective ou se limiter à des combats d’idées, c’est un combat spirituel personnel : quand le socle sur lequel on s’ancre vacille et se fissure, quand la chute vous attire vers des abimes d’angoisse et de colère, au risque de passer à côté de la vie, de sa vie, il n’y a qu’un seul chemin : accepter de descendre au sein de cette part inaliénable, sacrée de son être pour réapprendre à habiter le monde. Ses personnages deviennent ainsi prophètes, au sens de devoir parler en vérité au risque de perdre sa vie ou de rester en marge.

Dans son dernier livre, Michael D. O’Brien inscrit son personnage principal, Nathaniel, journaliste, dans une société qui a basculé dans l’omnipotence étatique et qui est contraint de prendre la fuite avec ses deux enfants. La chronique au fond d’un homme moderne, visionnaire, qui entre en confrontation avec un monde où le « dire » devient posture intellectuelle quand il ne s’ancre pas dans la réalité, viole les consciences et ne trouve ses propres limites que dans l’objectif poursuivi.

On retrouve dans ce livre, les thèmes si chers à notre auteur de la grâce qui jaillit de la chute, de l’intelligence qui, regardant le ciel, n’abdique pas mais au contraire se fortifie pour un plus grand discernement, de l’apocalypse au sens de la révélation dans le chaos, de la paternité.

En creusant en profondeur leurs propres convictions, en puisant dans leurs ressources spirituelles et psychologiques, les personnages de Michael D. O’Brien ont au fond rendez-vous avec eux-mêmes pour devenir résistants et paroles qui pulvérisent le mensonge.

Michael D. O’Brien : pour en savoir plus cliquez ici

 

 

 

 

 

4 réponses
  1. Dom-Dom
    Dom-Dom dit :

    Je retrouve une expression juste, que j’ai fait mienne (comme d’ailleurs ton grand-père), celle de « totalitarisme de la pensée ». En effet, il est très étonnant de voir combien la
    plupart s’en tiennent à répéter des choses semblables, à croire que la notion de vérité est liée aujourd’hui à celle de dire commun. Dès lors la liberté de penser, de penser autrement, dérange, voire revêt un caractère subversif. Rester libre est un luxe, et un luxe très cher.
    PS – Les gilets jaunes en sont un bon exemple. Le ras-le-bol ressenti est incompréhensible pour nos élites.

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    • Elvire
      Elvire dit :

      Commencez par le Père Elijah qui est juste magnifique ou Une île au coeur du monde.
      L’odyssée du père est sublime également

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  2. Anonyme le 1er
    Anonyme le 1er dit :

    Brillante elvire, veilleuse au même titre que l’auteur. Toujours en alerte et à la recherche du beau.
    Magnifique billet.

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