La véritable histoire des Carmélites de Compiègne de William Bush
Apaiser la terreur
« Les idéologues avaient oublié que certains concepts ne meurent pas sous l’effet du vote majoritaire invoqué par un gouvernement progressiste. Leur résistance peut se révéler étonnamment tenance quand l’identité la plus profonde et la plus glorieuse d’un peuple est concernée. Effacer toutes les traces de l’ancien pacte de France avec le Dieu chrétien ne devait pas se révéler un but aisé à atteindre. Aussi longtemps qu’un Français mourrait encore pour témoigner de son lien personnel avec le Dieu de ses pères, le gouvernement resterait impuissant à annihiler l’ancien pacte. »
Guillotinées sous la Terreur pour sédition et fanatisme, seize Carmélites de Compiègne ont été béatifiées en 1906 par Pie X.
A la demande des Evêques de France et de l’Ordre des Carmes Déchaux, le Pape François a autorisé au début du mois de février de cette année, l’ouverture de leur procès en canonisation par équipollence (sans nécessité de miracles).
Les Carmélites de Compiègne sont connues du grand public essentiellement à travers des œuvres telles qu’une nouvelle de Gertrud le Fort « La Dernière à l’échafaud », ou la pièce de Bernanos qui s’en inspire largement « Dialogues des Carmélites » dont fut tiré notamment l’opéra éponyme de Francis Poulenc. Aussi magnifiques et émouvantes que soient ces représentations artistiques du martyre des carmélites et qui nous éclairent certes sur le génie créateur de leur auteur, il n’en demeure pas moins que la réalité historique en pâtit un peu, et pour qui veut comprendre et vivre de l’intérieur ce que fut la réalité des Carmélites en pleine Révolution française, je recommande vivement de lire ce petit bijou littéraire, historique et spirituel de William Bush qui opère un réel travail historique sur le sujet.
Nos seize religieuses formaient une même communauté à Compiègne comprenant une vingtaine de membres, appartenant à l’ordre du Carmel, cet ordre qui fut réformé par l’immense et sainte Thérèse d’Avila au XVIème siècle donnant naissant aux Carmes déchaux.
A Compiègne, les Carmélites bénéficiaient d’un lien particulier avec la maison Royale en raison de la Princesse Louise-Marie de France, en religion Sœur Thérèse de Saint Augustin, dixième et dernier enfant de Louis XV qui était elle-même entrée chez les Carmélites de St Denis à 33 ans et qui n’hésita pas à prendre sous sa protection certaines jeunes filles qui lui étaient présentées, notamment en sollicitant sa nièce Marie-Antoinette pour leur procurer des dots quand elles étaient impécunieuses.
Il faut se souvenir qu’en pleine période révolutionnaire, un ensemble de décisions visèrent particulièrement les communautés religieuses.
En avril 1790, tous les biens de l’Eglise furent confisqués au profit de l’Etat. En décembre de la même année, fut votée une Constitution civile du Clergé qui, condamnée par le Pape quelques mois, plus tard entraina une fracture entre le clergé dit constitutionnel et les réfractaires (les non jureurs), ceux qui refusèrent de prêter le serment civil.
En août 1792, un décret décida de la fermeture tous les monastères féminins et l’incarcération au Temple de la toute la famille royale. En septembre les religieuses seront expulsées de Compiègne et condamnées à vivre en appartement en petits groupes, séparées et revêtues d’habits civils.
C’est dans cette période particulièrement violente pour les réfractaires, que la mère supérieure (Mère Lidoine, en religion Sr Thérèse de St Augustin en hommage à la maison royale) décida de présenter à sa communauté ce qu’elle ressentait comme un appel profond : suivre l’Agneau immolé en s’offrant en holocauste (au sens de sacrifice total) en vue de restaurer la paix de la France et de l’Eglise. Dans la lignée de Ste Thèrèse d’Avila qui avait réformé leur ordre pour sauver le royaume de France, Mère Lidoine envisageait un acte communautaire consistant à réciter chaque jour un acte de consécration dont le sacrifice ultime pouvait aller jusqu’à donner sa vie en offrande avec et pour le Christ. Cet acte de consécration fut prononcé ainsi chaque jour jusqu’à la fin.
Le 21 janvier 1793, le roi Louis XVI est guillotiné, puis Marie-Antoinette le 16 octobre de la même année. C’est le début de la période qu’on appellera la Terreur.
Le 22 juin 1794, les carmélites sont arrêtées pour, selon l’acte d’accusation, poursuite de la vie communautaire et fidélité à la monarchie, puis transférées à Paris à la Conciergerie le 12 juillet. Le 16 juillet, jour de la fête de Notre-Dame du Mont Carmel, elles apprennent que leur procès se tiendra le lendemain.
Jugées dans la même salle où se tint quelques mois plus tôt le procès de Marie-Antoinette, elles sont condamnées à mort comme ennemies du peuple, au même titre que 54 autres prisonniers.
Le soir même, la sentence est exécutée : elles seront toutes les seize guillotinées place de la Nation et leurs corps entassés dans la fosse commune du cimetière de Picpus.
L’histoire retiendra l’immense silence de la foule à l’arrivée de ces seize femmes vêtues de blanc, sereines, apaisées, irradiant de l’accomplissement du sacrifice offert et montant à l’échafaud en chantant Laudate Dominum.
Au moment de leur mort, les seize carmélites avaient entre 29 et 78 ans.
Quelques jours plus tard, ce fut la chute de Robespierre et la fin de la Terreur.
Ces femmes, extraordinaires dans leur don total, nous interrogent aujourd’hui.
Comme Martyres, elles incarnent la vocation chrétienne et la suite du Christ dans sa radicalité. Si les catholiques sont appelés à vivre dans le monde et même à y participer, ils ne doivent pas oublier que Dieu reste premier servi, et que cet amour de Dieu peut mener jusqu’au sacrifice suprême. Le martyre est essentiellement une théophanie, une manifestation de Dieu parmi les hommes. Il ne peut donc pas être réduit à un simple acte d’héroïsme mais bien comme la manifestation exceptionnelle de Dieu à l’œuvre qui transfigure les victimes comme des porteurs de Dieu.
Comme communauté, elles sont une expression lumineuse du « petit collège du Christ » tel que le concevait Thérèse d’Avila qui parlait d’aventurer sa vie pour le Christ. « Ne dormez plus, ne dormez plus, tant qu’il n’y a pas de paix sur la terre ! » disait-elle. C’est dans cette fidélité très quotidienne qu’a pu résonner avec la plus grande force le don de leur vie, consenti librement, sans ostentation, ni exaltation.
En tant que femmes assassinées par le nouvel ordre en place, elles témoignent aussi de la force de la résistance face à l’oppression et l’injustice. Tant que des êtres humains sont capables de témoigner et de se tenir debout jusqu’à la mort, les idéologies ne peuvent totalement éradiquer l’ordre ancien. Le crime transformé en sacrifice pour la paix du royaume de France porte encore ses grâces jusqu’à aujourd’hui et il n’est pas étonnant que le procès en canonisation soit ouvert.
Un livre à lire absolument.
William Bush, docteur de l’université (Sorbonne), professeur de littérature française à l’université de Western Ontario (Canada), est un spécialiste de Bernanos (Souffrance et expiation dans la pensée de Georges Bernanos, 1961 ; édition critique de Sous le soleil de Satan, 1982). Chargé en 1985 par le carmel de Compiègne de l’édition critique des manuscrits laissés par sœur Marie de l’Incarnation, survivante du martyre, il a consacré quinze années à la reconstitution historique et spirituelle du martyre des carmélites.
Il y a le martyre consenti et offert comme celui de ces carmélites. Il y a aussi le martyre du quotidien que l’on subit sans le vouloir du fait de circonstances ou de la malveillance. Autour de nous, des personnes connaissent ainsi cette forme de martyre dans le silence.
Merci de nous rappeler ainsi l’importance du martyre dans le temps et hors du temps.
Bonum est.
Si le livre est à lire, que dire de ce billet, documenté et passionnant
Elvire a l’art de rappeler que le passé se conjugue au présent.
Formidable billet